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Katia et Maurice Krafft, en passionnés animés d’une volonté de partage de leurs connaissances, ont su allier sensibilité artistique et professionnalisme scientifique dans la constitution de leur collection : on y trouve pêle-mêle des gravures, des lithographies, des reproductions de tableaux de maîtres, des dessins et gouaches napolitaines, des estampes japonaises, quelques photographies anciennes, des journaux illustrés, des cartes géographiques et des plans. Les tableaux qu’ils ont réunis montrent également la beauté du phénomène volcanique.
Toutes ces représentations iconographiques documentent les principaux volcans européens et mondiaux, parfois en plusieurs exemplaires ; pour illustrer son dernier ouvrage, Les Feux de la Terre, Maurice Krafft a beaucoup puisé dans sa collection personnelle, faisant interagir images et textes, à l’instar de William Hamilton deux siècles plus tôt.
« M. Mimatsu, postier de Sobetsu, à deux kilomètres du monstre, dessina régulièrement les silhouettes changeantes du volcan, permettant ainsi aux volcanologues japonais d'étudier la vitesse de croissance du dôme qui s'accomplissait par saccades. » (Les Feux de la Terre, page 175)
Les 44 gouaches napolitaines de la collection sont particulièrement remarquables : datées des XVIIIe et XIXe siècles, certaines sont réalisées par des artistes célèbres (Alessandro d’Anna, Saverio Della Gatta, Gioacchino La Pira et Camillo de Vito), mais elles sont majoritairement anonymes. Iventoriées et numérisées, elles sont disponibles en ligne sur le portail documentaire des bibliothèques du Muséum.
Voici deux œuvres à la composition verticale - et non panoramique - pour donner de l’espace à la colonne éruptive. La Pira peint les éclairs de décharges électriques (de jour comme de nuit), la fissure sur le flanc du volcan (le jour). Dans la version de nuit, le cône est rougeoyant de lave.
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, l’imagerie volcanique se développe en lien avec les découvertes scientifiques de la période et l’attrait pour une esthétique du Sublime. A Naples, l’ambassadeur britannique Sir William Hamilton est fasciné par la volcanologie : il publie plusieurs livres sur le Vésuve et le volcanisme. Grand collectionneur d’art, sa résidence est un véritable pôle d’attraction pour les visiteurs étrangers.
Naples est alors la dernière étape du Grand Tour. Les amateurs d’art, collectionneurs ou artistes, redécouvrent le passé artistique de l’Italie. Et la baie de Naples, dominée par un volcan, le Vésuve, en éruption quasi continue, est d’autant plus fascinante qu’à partir de 1738, des découvertes archéologiques ressuscitent les cités d’Herculanum et de Pompéi, ensevelies par l’éruption du Vésuve en 79 après J. C.
Avec l’émergence du tourisme en Italie, certains peintres se spécialisent dans des vues d’Italie, à l’instar de Canaletto (1697-1768) et Francesco Guardi (1712-1793) à Venise, qu’ils vendent à une clientèle de passage.
A Naples, la Veduta apparaît dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : des artistes tel que le Français Pierre Jacques Volaire (1729-1799) trouvent dans le Vésuve en éruption un sujet d’inspiration.
A la fin du XVIIIe siècle, les peintres napolitains sont nombreux à proposer la peinture « souvenir » aux voyageurs d’agréments ; la gouache remplace la peinture à l’huile. Cette technique d’exécution plus rapide permet à l'artiste de transcrire très rapidement les sentiments ressentis devant les forces de la nature et plus particulièrement les coulées de lave rougeoyantes dévalant les flancs du Vésuve. Les peintres doivent souvent travailler vite, c’est pourquoi ils reprennent régulièrement les mêmes motifs. Les gouaches de Pietro Fabris (1740-1792) gravées et aquarellées qui illustrent Les Champs Phlégréens de Sir William Hamilton publié en 1776 (avec un Supplément en 1779), vont servir de répertoire de motifs pour les peintres napolitains. Les différents modèles d'éruptions sont perçus de jour ou de nuit et selon plusieurs points de vue : depuis le port, à l'intérieur du cratère, par temps de neige. Généralement réalisées sur un fond sombre ou noir avec en marge une inscription relative à l'éruption décrite, les gouaches napolitaines sont de taille plutôt réduite afin d'en faciliter le transport.
Hamilton publia un complément aux Champs Phlégréens après l'éruption d'août 1779. Sur cette gouache, le volcan est dépeint au loin, dans une scène de la vie quotidienne. On voit partiellement sur le côté gauche le Castel dell’Ovo ; au premier plan, la jetée et quelques pêcheurs donnent une échelle approximative à la scène. L’éruption est symbolisée par deux champignons explosifs successifs. Alessandro d’Anna fut l’élève de Saverio Della Gatta.
Les éruptions qui ont été le plus souvent représentées sont celles de 1794, 1810 et 1822. Cette composition est contrastée : à gauche, l'éruption déchaînée avec ses tons chauds ; à droite, une marine paisible au clair de lune argenté. La lune est une constante dans les scènes de paysages nocturnes : elle permet d’éclairer ici les îles avoisinantes et de faire miroiter l’eau de mer.
Le voyageur, lors de son Grand Tour en Italie, allait rarement au-delà de Naples. Les peintures ayant pour sujet l'Etna et le Stromboli sont peu nombreuses. Cette gouache a pour sujet l’éruption de l’Etna de 1858 avec ses coulées de lave incandescente. Les spectateurs se sont approchés au plus près du volcan pour mieux l’observer, et ne semblent éprouver aucune inquiétude.
La production de gouaches napolitaines va durer plus d’un siècle, jusqu’à l’apparition de nouvelles techniques comme la reproduction de gravures dès 1840, la photographie en 1850, mais surtout les premières photographies du Vésuve en éruption en 1872, et le film souple en 1889.Ll’image du volcan se modifie : dans les journaux illustrés en particulier, on passe de l’observation d’une merveille de la nature à la description d’une éruption aux effets dévastateurs en soulignant le côté spectaculaire de l’évènement.
Au XIXe siècle, le genre de la gouache napolitaine séduira d’autres artistes ou voyageurs peintres amateurs hors d’Italie.
- Marge noire avec mentions de l’année et du jour de l’éruption représentée.
- Thèmes récurrents : le Vésuve de jour ou de nuit (le plus souvent en éruption), la baie de Naples (le Vésuve au loin), la solfatare, les ruines de Pompéi, les grottes marines. Certaines gouaches représentent l’intérieur du cratère du Vésuve.
- Format adapté au transport pour le client sur le point de retourner dans son pays d’origine. - Importance accordée au paysage et au ciel.
- Echelle réduite des personnages (très souvent des pêcheurs).
- « Les gouaches napolitaines », Dominique Decobecq, dans LAVE, n° 147, novembre 2010, p. 16-21.